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Libération

Des Indiens colombiens en tournée européenne. Deux tribus se mobilisent contre l'exploitation pétrolière et un barrage sur leurs terres.

par Alejandra TORO
publié le 30 mars 2000 à 23h11

«On ne peut pas négocier notre droit à vivre», répètent

inlassablement Evaristo Tegria, conseiller juridique de la communauté U'wa, et Panesso Neburuby, conseiller traditionnel de la communauté Embera-Katio. Les Indiens de ces deux tribus colombiennes luttent avec désespoir pour défendre leurs terres ancestrales. Soutenus par des ONG, dont France Libertés et ICRA International, ils sont venus en Europe dénoncer l'exploitation du territoire des peuples indiens en Colombie par des entreprises multinationales. Bogotà a autorisé l'Occidental Petroleum (Oxy) à réaliser des forages sur les terres U'wa dans le département du Nord de Santander, près du Venezuela, et la mise en eau d'un barrage hydroélectrique, sur les hauteurs du fleuve Sinu, territoire millénaire des Embera-Katio. Pour eux comme pour les quelque 5 000 U'wa, ce que les autorités colombiennes présentent comme «des opérations de développement» signifient la destruction de leur culture et de leur peuple.

Malgré le droit immémorial à la terre dont bénéficient les peuples indigènes en Colombie ­ reconnu juridiquement depuis 1991 ­ ce n'est qu'en août 1999 que les autorités ont créé une réserve unie U'wa. Au coeur de ce territoire se trouvent le «Bloc Samoré», zone d'exploitation pétrolière d'Oxy, ainsi que la montagne sacrée des U'wa. Le gouvernement a agrandi le territoire U'wa de 61000 à 220000 hectares, et a déjà assuré que les activités de la multinationale américaine n'affecteraient pas leur terre sacrée. Mais la position U'wa est irrévocable: «La terre est notre mère et le pétrole est son sang. Comment négocier le sang de notre mère avec le gouvernement?» Pour les Embera et les U'wa qui, en avril 1997, avaient menacé le gouvernement d'un suicide collectif le jour où l'exploitation pétrolière commencerait, le gouvernement les a trahis. La Constitution de 1991 s'engage à préserver les territoires indiens: elle interdit l'exploitation des parcs naturels, mais soumet celles des réserves indiennes à une consultation préalable avec la minorité. Oxy affirme avoir «consulté» les Indiens avant de commencer les exploitations pétrolières, mais les U'wa n'ont jamais donné leur accord.

La construction du barrage hydroélectrique a provoqué l'inondation des terres et cimetières des Embera, la mort de centaines d'animaux et l'altération de tous les écosystèmes du fleuve. Sans la résistance de ces gardiens de l'équilibre écologique du bassin du Sinu, la région serait déjà probablement déboisée, avec des conséquences catastrophiques sur le régime des eaux en aval. Accusés par Fidel Castaño, le chef du mouvement des autodéfenses unies de la Colombie, de soutenir la guérilla, plusieurs leaders de la communauté Embera ont été assassinés en 1998 par des paramilitaires, et d'autres ont été menacés de mort par ces groupes d'extrême droite.

Le 11 février 2000, 450 U'wa ont été délogés violemment par les forces armées d'une zone proche des puits d'Oxy. Trois enfants se sont noyés en fuyant et plusieurs U'wa ont été blessés, d'autres enlevés. Il y a trois mois, 167 représentants des Embera sont descendus dans les rues de Bogota pour protester contre le projet de barrage et campent depuis dans les jardins du ministère de l'Environnement. Ils demandent un élargissement de leur territoire afin de préserver la forêt tropicale et d'assurer la survie de leur peuple, ainsi qu'une participation aux bénéfices de l'exploitation du barrage. Ils exigent en compensation l'octroi de 33270 hectares, alors que le gouvernement du président conservateur Andres Pastrana leur en proposait 12848.

Le pétrole est aujourd'hui une des principales ressources du gouvernement colombien: il représente 25% des exportations, plus de 50% en 2005, selon des sources officielles. Mais le mouvement des Embera et des U'wa a reçu un soutien inespéré. 2500 paysans colombiens bloquent depuis plusieurs jours une route dans le nord-est du pays et menacent d'y rester tant que les autorités ne seront pas intervenues pour mettre un terme aux forages d'Oxy dans la zone. Selon Evaristo Tegria, une mobilisation des communautés indigènes en solidarité avec les Embera et les U'wa est attendue dans les prochains jours.

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