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Olivier Véran peut-il affirmer qu’il n’y a aucun décès «imputable à la vaccination» contre le Covid-19 en France ?

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Selon la pharmacovigilance, 1 224 cas de décès ont été signalés suite à l’injection d’un vaccin contre le Covid-19 depuis le début de la vaccination. Mais leur imputabilité aux vaccins n’est pas avérée.
par Marie Thimonnier
publié le 25 octobre 2021 à 12h26

«Il n’y a pas, à ce stade, de cas de décès avéré imputable à la vaccination», déclarait Olivier Véran le 15 octobre face à la commission des lois de l’Assemblée nationale. Auditionné à l’occasion de l’examen du projet de loi visant à prolonger l’état d’urgence sanitaire, le ministre de la Santé s’appuyait sur les rapports «publics et transparents» de l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM). Un organisme qui a mis en place une vaste enquête de pharmacovigilance depuis le début de la campagne de vaccination, afin de suivre la sécurité des vaccins en temps réel.

Cette déclaration a suscité de nombreuses réactions, notamment de la part des antivax. Sur Twitter, des internautes font notamment circuler un document en réponse au ministre de la Santé, indiquant 1 223 décès.

D’où viennent ces chiffres ? Dans le cadre de l’enquête de pharmacovigilance coordonnée par l’ANSM, les effets indésirables survenus après une injection de l’un des vaccins contre le Covid-19 peuvent faire l’objet d’un signalement de la part des professionnels de santé ou des personnes vaccinées elles-mêmes. La notification se fait auprès des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV).

D’après le dernier point de surveillance, publié le 24 septembre, un total de 1 224 décès post-vaccination avaient été rapporté depuis le début du suivi : 907 pour le vaccin Pfizer, 77 pour Moderna, 216 pour AstraZeneca et 24 pour Janssen. Ces chiffres, qui correspondent de près à ceux utilisés par les antivax sur Twitter, sont ceux des décès post-vaccination, signalés aux centres de pharmacovigilance, pour lesquels un lien de cause à effet peut être interrogé. Et non, à ce stade, qu’il a été prouvé.

La méthode de suivi des signalements

Rappelons que les effets indésirables les plus fréquents d’un vaccin – comme pour tout produit pharmaceutique – sont d’abord identifiés au cours des essais cliniques. Ils permettent de comparer l’efficacité d’un vaccin avec celui d’un placébo et recensent tous les événements survenus dans les deux groupes de participants. Comme nous l’avions expliqué dans un article précédent, la raison est simple : de nombreux événements sans aucun lien avec le geste médical peuvent survenir dans les semaines qui suivent l’injection. Comptabiliser ces évènements dans le groupe «placebo» sert de référence pour juger de la normalité – ou de l’anormalité – des évènements observés dans le groupe «vacciné». Mais les essais cliniques n’étant habituellement réalisés que sur quelques milliers de personnes, cette approche ne permet de détecter que les effets indésirables les plus fréquents. C’est là qu’intervient la pharmacovigilance.

«Lorsque l’on étudie un dossier, on compare l’incidence de décès post-vaccination avec celle attendue d’un décès en population générale», explique Joëlle Micallef-Roll, directrice du centre régional de pharmacovigilance de Marseille. «Tous les jours, indépendamment des vaccinations ou de toute autre intervention de santé, des accidents de santé se produisent, à une fréquence parfois importante dans la population (thrombophlébites, embolies pulmonaires, infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux, maladies auto-immunes, infections, décès, etc.)», développe le CRPV de Grenoble. Les organismes de pharmacovigilance comparent alors la fréquence des signalements pour un symptôme – ou ici un décès – donné avec la fréquence habituelle de ce symptôme (hors traitement) dans la population considérée. Par exemple, pour un traitement administré à des adultes de moins de 30 ans, on se référera à la fréquence de l’événement étudié dans une population d’âge et d’état de santé similaire. Les CRPV traitent ainsi les signalements en temps réel, grâce à l’examen complet des dossiers des patients. Ces analyses font ensuite l’objet de de rapports publiés fréquemment sur le site de l’ANSM.

Quels liens ont pu être établis entre les décès signalés et les vaccins ?

Les quatre vaccins contre le Covid-19 distribués en France (Pfizer, AstraZeneca, Moderna et Janssen) sont ainsi suivis de près par la pharmacovigilance. Concernant le vaccin Pfizer, aujourd’hui le plus utilisé, avec plus de 75 millions de doses injectées aux 30 septembre, les CRPV recensent à ce jour 907 signalements de décès. Après analyse de ces cas, «les décès survenus dans la population de patients de moins de 50 ans n’apportent pas, dans leurs caractéristiques, d’élément en faveur d’un rôle de la vaccination», peut-on lire dans le dernier rapport de pharmacovigilance.

Neuf cas de décès ont néanmoins été notifiés suite à des effets indésirables post-vaccination pouvant se rapprocher de ceux d’un état grippal. «On a eu pendant la première vague de vaccination, qui concernait majoritairement des personnes âgées, des cas de décès des suites de la vaccination. Par exemple, des cas d’états grippaux qui ont pu précipiter la mort de certains patients déjà très fragiles», mentionne Francesco Salvo, directeur du centre régional de pharmacovigilance de Bordeaux et coordinateur du suivi national de la sécurité du vaccin Pfizer. Mais «ces effets indésirables sont des réactions connues du vaccin. Aujourd’hui, aucun décès n’est directement imputable à la vaccination», précise Francesco Salvo.

Aucune augmentation des décès, dans cette tranche très âgée et fragile de la population, n’a été signalée avec la vaccination. Cette analyse confirme qu’il n’y a «pas de surrisque de mortalité avec ce vaccin», explique Francesco Salvo.

Pour le vaccin Moderna, même conclusion concernant les 77 cas de décès signalés : «Nous n’avons pas de cas de décès où il y a un argument pour un rôle direct du vaccin», explique le CRPV de Lille (en charge du suivi de Moderna). Les chiffres des notifications de décès de Pfizer étant comparables avec ceux du vaccin Moderna (0,7 cas de décès notifié pour 100 000 injections Moderna réalisées, contre 1,3 cas de décès notifié pour 100 000 injections Pfizer au 26 août), «la même conclusion peut être observée pour les deux vaccins», ajoute le CRPV de Lille.

Moins évident pour AstraZeneca et Janssen

Pour les deux vaccins dits «adénovirus» (vaccin qui utilise un virus vivant mais rendu inoffensif pour l’homme), développés par AstraZeneca et Janssen (filiale de Johnson & Johnson en Europe), l’absence de liens est moins évident. Le vaccin AstraZeneca a déjà fait l’objet de plusieurs alertes en mars, concernant des cas de thromboses atypiques en Europe. La France avait alors suspendu son utilisation pour les moins de 55 ans. L’Agence européenne du médicament (EMA) a reconnu quelques jours plus tard qu’il pouvait y avoir un lien entre le vaccin AstraZeneca et la survenue de thromboses. Dans le dernier rapport de pharmacovigilance, dix décès dus à une «thrombocytopénie thrombotique immunitaire induite par le vaccin, TTIV», ont été dénombrés en France. «Quand vous avez des maladies qui sont rares, le vaccin peut être lié», explique Jean-Daniel Lelièvre, immunologue et expert à la Haute autorité de Santé. «Avec AstraZeneca, il y avait plus de cas thromboses observés sur une population jeune avec la vaccination qu’en fréquence habituelle, développe le professeur et praticien hospitalier au CHU Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne). On n’observait pas non plus de tels effets indésirables avec les autres vaccins. Cela a permis à la pharmacovigilance d’établir un signal de sécurité.»

Concernant le vaccin Johnson & Johnson, dans le dernier rapport du 8 octobre, il est mentionné que «le lien avec le vaccin ne peut être exclu» pour trois cas post-vaccination, à savoir : «Un choc anaphylactique fatal [réaction allergique causant la mort du patient, ndlr] et deux décès associés à des poussées hypertensives.» Contacté par CheckNews, le CRPV de Grenoble qui assure le suivi du vaccin Janssen (avec le centre de Lyon) nous a précisé que les deux cas d’hypertension artérielle pourraient faire l’objet d’un signal de sécurité. «Le lien entre hypertension artérielle et vaccin anti-Covid-19 est un signal potentiel en cours d’analyse à l’agence européenne du médicament», indique le centre de pharmacovigilance. Il existe donc bien un lien entre ces vaccins et des décès pour certains cas, d’autres faisant toujours l’objet d’analyses.

Une balance bénéfice-risque positive

«Pour les vaccins Pfizer et Moderna, Olivier Véran est dans le vrai. Mais il y a bien eu des décès liés notamment à l’injection du vaccin AstraZeneca», détaille Jean-Daniel Lelièvre, qui cite notamment le cas d’un étudiant en médecine nantais dont l’autopsie avait confirmé l’imputabilité du vaccin AstraZeneca.

Selon Cecil Czerkinsky, immunologue et directeur de recherche à l’Inserm, l’affirmation d’Olivier Véran est «un peu présomptueuse». «Il est toujours difficile de démontrer une association entre un traitement X et un évènement rare voire rarissime [ici entre le vaccin et les décès, ndlr], encore plus lorsqu’on parle d’évènement sévère à moyen terme», développe le vaccinologue. Il est en effet difficile d’établir un lien de cause à effet dans les circonstances de vaccination liées à la crise sanitaire. La vaccination de masse sur un temps très court explique le nombre important de signalements, qui doivent cependant être comparés avec leurs fréquences habituelles afin d’établir la balance bénéfice-risque.

La balance bénéfice-risque positive entre les décès liés au Covid-19 et ceux des vaccins était d’ailleurs soulignée par Hervé Le Bras, dans une tribune publiée par le journal le Monde. «La focalisation sur les décès après vaccin, plutôt que sur la comparaison des risques de décès selon que l’on est vacciné ou non, égare le débat», concluait-il en réponse aux controverses sur l’interprétation des chiffres des signalements de décès post-vaccination. Depuis mai, une balance bénéfice-risque est mise jour pour chaque vaccin et disponible en ligne sur le site du gouvernement. Elle a été développée par l’équipe du centre d’épidémiologie clinique de l’hôpital Hôtel-Dieu AP-HP, l’Inserm et l’Université de Paris. L’outil permet notamment de visualiser le risque de décès, d’hospitalisation et de Covid long avec et sans vaccination, reflétant «la situation sanitaire à un moment donné.» Les estimations sont par ailleurs «issues de données scientifiques publiées.» Et les graphiques sont édifiants. Si on fait le test en prenant la catégorie des hommes de 70-79 ans, sur 10 000 individus non vaccinés et contaminés par le Covid-19, 1 100 seront hospitalisés et 271 décéderont au cours de l’hospitalisation. Pour cette même catégorie de population, cette fois vaccinée au Pfizer, sur 10 000 vaccinées, 54 seront hospitalisées, 13 décéderont au cours de l’hospitalisation, et 2 subiront des effets secondaires graves liés à la vaccination.

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